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Histoire du Moulin Fine

Salvan - Les Marécottes

HISTOIRES DES MOULINS À SALVAN

Texte de Maurice Coquoz

De quand datent les premiers moulins dans notre commune ? Nos recherches n'ont pas permis de le préciser.

Dans la région, et plus particulièrement à Vallorcine, on sait qu'en 1285, le prieur de Chamonix, Richard de Villette, octroie à Pierre de Vallee ursina theutonicus, la faculté d'exploiter des moulins et des battoirs, autant qu'il voudra moyennant une redevance annuelle de 12 deniers en monnaie genevoise. Par contre, le prieur se réserve pour lui et ses successeurs le droit d'établir une scierie et d'autres artifices (!).

Dans les archives de l'Abbaye de St-Maurice, on a retrouvé des documents de 1575 par lesquels l'abbé Du Platro, alberge à Jean et Maurice Valet la place pour un moulin à la Poya de Salvan avec le virage de l'eau qui descend de Salvan, pour une cens annuelle de 5 deniers mauriçois.

En 1707, l'abbé Camini alberge à Antoine Coquoz des Granges le droit et le cours d'eau pour un moulin es Buis darè, près du Lavieu, le tout pour un cruciyon et 1/2 quarteron d'avoine.

En 1853, des particuliers se permettent de sortir des meules de moulin sans payer les droits à la commune et en contravention de l'arrêté porté à ce sujet. Des mesures ont été prises pour découvrir les contrevenants et leur faire payer une amende.

Enfin, en 1854, Jean-Joseph Fournier déclare avoir vendu 2 pierres de moulin courantes et trois ans plus tard, Jean-Baptiste Gross demande à la commune un sapin pour réparer son moulin, demande qui fut accordée.
Les premiers moulins, dans notre commune, datent donc probablement du Moyen-Age.

Leur importance était telle qu'en 1847, en pleine guerre du Sonderbund, alors que tous les hommes valides étaient mobilisés, le Président de la Commune, Maurice-Joseph Jacquier, s'adressa par écrit à Maurice-Joseph Voeffray, capitaine des carabiniers de Salvan, en service à Outre-Rhône, pour qu'il accorde la permission à Alexis Mathey, Emmanuel Décaillet et Mathieu Borgeat de revenir au village pour faire aller les moulins. Plusieurs familles étaient en souffrance et personne ne pouvait remplacer ces meuniers. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque, il n'y avait pas de boulangerie; chaque famille faisant son pain et le cuisait au four banal. Mais pour faire du pain, il fallait avoir de la farine !

Quels moulins desservaient les prénommées ? Difficile de le déterminer.
Ce que nous savons avec certitude, c'est qu'au début du siècle existaient:

* le moulin à grains et à fruits d'Henri Gay, détruit par son propriétaire
   (les meules retrouvées ornent les abords de la Résidence Le Vieux Moulin à Salvan);
* le moulin à fruits de César Décaillet, détruit par un incendie vers les années 1920;
* le moulin à céréales de François Décaillet, dit François Fine, qui fait l'objet de nos travaux de restaurations;
* le moulin à céréales de François-Louis Fournier, en ruines.

Quelques centaines de mètres en contre-bas, des vestiges, actuellement peu visibles, témoignaient de l'implantation d'un ancien bâtiment. S'agissait-il du moulin de Jean et Maurice Valet construit en 1575 ?

Ce n'est pas impossible, car c'est bien là que se situait la Poya de Salvan dont il est fait mention dans le document cité plus haut.
En plus, on trouvait encore sur ce même torrent, deux scieries.

Moulins et scieries pouvaient fonctionner aussi bien par la force de l'eau tombant sur la roue et la faisant tourner dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, que par la force de l'eau s'écoulant sous la roue et la faisant tourner dans le sens contraire. La construction était alors différente. Dans le premier cas, chute de l'eau sur la roue, les augets étaient fermés et le poids de l'eau qu'ils contenaient facilitait la rotation de la roue. Dans le second cas, l'eau passant sous la roue, les augets étaient généralement ouverts, le poids de l'eau ne jouant ici qu'un moindre rôle, l'important étant la vitesse et le volume d'écoulement de l'eau.

Durant la dernière guerre mondiale (1939/1945) notre moulin fut souvent mis en service. La difficulté pour notre pays de s'approvisionner à l'étranger en céréales panifiables, ayant incité le Conseiller fédéral Wahlen à demander à toutes les communautés (cantons et communes) comme à chaque Suisse, de promouvoir la culture intensive de toutes les surfaces propres à donner des céréales et des pommes de terre. Dans les villes, on laboura les parcs publics. Gazon et parterres fleuris firent place à des champs de blé et de pommes de terre. Sur nos coteaux, chaque coin de terre cultivable fut planté ou ensemencé. L'importance que revêtait un approvisionnement constant de notre pays est démontrée par l'obligation faite aux boulangers de mélanger de la farine de pommes de terre à la farine de céréales. Cela n'alla pas sans poser quelques problèmes du point de vue de la panification: pâte très lourde, collante, difficile à façonner et à cuire. Sans parler du goût ! Quant au pain blanc, il était exclu des étagères des boulangeries où trônait le fameux pain fédéral !

Dans nos villages, les inconvénients du mélange avec la farine de pommes de terre furent plus aisément supportés par tous ceux qui cultivaient du blé ou du seigle et faisaient panifier leur récolte par le boulanger du village.

En général, le meunier faisait payer ses services en nature, prélevant une quantité convenue de farine pour ses propres besoins. Les paysans pétrissaient eux-mêmes la pâte et la livraient au boulanger pour la suite des opérations: façonnage et cuisson. Afin de réduire les frais au maximum, ils apportaient également le bois pour chauffer le four.


Parfois, d'aucuns amenaient simplement leur lot de farine et chargeaient le boulanger de toutes les opérations de panification. Ce dernier ajoutait régulièrement de la farine de froment à la farine de sigle, afin de rendre la pâte plus souple, plus malléable. Pour obtenir des pains de bonne qualité, il était indispensable de pétrir longuement cette pâte. Souvent, ce pétrissage se déroulait en deux phases entrecoupées d'une pause de 15 à 20 minutes. Les lots, pour les clients, pour le meunier et pour le boulanger, lequel se défrayait de son travail en prélevant également quelques miches, étaient pourvus de marques distinctives faites au couteau au moment de l'enfournement.

Des pains ordinaires, bis ou mi-blanc, de 1 kg et 1 1/2 kg, était pesé lors de la vente devant le client; s'il n'atteignait pas le poids désiré, le boulanger coupait un morceau dans une autre miche et l'ajoutait au pain trop léger. La "pèza", ainsi nommait-on ce morceau supplémentaire, faisait la joie des enfants venus acheter du pain qui s'en retournaient à la maison en le grignotant !

A relever que les pains d'une livre n'étaient fabriqués que rarement et sur commande ! Quant aux pains de sigle, ressemblant à des galettes de 30 cm environ de diamètre et de 5 à 6 cm d'épaisseur en leur milieu, ils étaient vendus sans être pesés. Leur poids étaient généralement de 1 kg.

Durant les premières décennies de ce siècle, nombreux étaient encore les paysans qui avaient gardé l'habitude de préparer ou faire préparer leur réserve de pains pour tout un hiver en une seule fois. Ces pains de sigle étaient conservés dans un local aéré et au sec, soit sur des râteliers, soit sur des claies. Au bout de quelques jours, ces pians devenaient si secs qu'il était impossible de couper avec un couteau, si affûté fût-il ! Pour les débiter, on utilisait une hachette ou un coutelas (sabre tronqué) fixé par un bout sur une étrier mobile, lui-même rivé sur une planche en bois (le tzaplapan). En rabattant violemment le sabre sur le pain, on le faisait sauter en morceaux, plutôt que de pouvoir le couper en tranches régulières. Ces morceaux, trempés dans la soupe, du café ou du cacao, faisaient alors les délices de chacun.

La guerre terminée, le ravitaillement reprit très rapidement comme auparavant et le plan Wahlen ne fut bientôt plus qu'un souvenir. Chez nous, la culture des céréales déclina rapidement au profit de celle des fraises dont les apports financiers étaient nettement supérieurs.

Moins de céréales à moudre.... dès lors, les jours du moulin furent comptés et, en 1947, le dernier meunier François Décaillet, pu se complaire à fredonner: Meunier tu dors... et ton moulin aussi !

De fait, petit à petit, le vieux moulin, à l'instar du Château de la Belle au Bois dormant, s'endormit derrière une végétation de plus en plus envahissante. Tout au plus, durant quelques années, un moutonnier y trouva refuge et utilisa ce bâtiment pour y entasser du foin !

Puis on l'oublia.

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